HOMELIE de Mgr Eric AUMONIER

prononcée lors de l'Eucharistie de son installation au siège épiscopal de Versailles

Cathédrale St Louis
Dimanche 25 février 2001

Mgr Thomas a fait ses adieux au diocèse il y a à peine un mois, et déjà vous revoici assemblés dans la cathédrale pour m'accueillir comme votre évêque. Je vous remercie de tout cœur d'être venus si nombreux, de tous les doyennés, en ce jour qui coïncide avec la fin des vacances scolaires et qui coïncide aussi avec le dernier Dimanche de l'année avant l'entrée en Carême. Il est bon que nous commencions ensemble ce temps de conversion qui nous est offert à nous et aux catéchumènes que j'appellerai la semaine prochaine à entrer dans l'étape décisive qui les mènera au baptême. C'est la première intention que je vous confie : que nos frères et sœurs entrent de façon décidée dans le combat spirituel, et qu'ils trouvent en nous tous des " vivants pour Dieu " (Rm 6, 10) et pour leurs frères, et qui les accueilleront comme néophytes. Ils sont une vraie cause de joie : leur démarche ne s'explique pas comme on explique le recrutement de nouveaux membres dans une association, c'est une histoire sainte dont nous sommes témoins et serviteurs. Nous constatons la fécondité de l'action de Dieu qui donne à Son Eglise d'engendrer des enfants. Nous prierons donc pour les futurs baptisés de cette année et pour tous ceux, innombrables, que le Seigneur appelle à renaître par l'eau et par le sang (cf. Jn 19, 34 ; 1 Jn 5,6).

Au moment où je suis installé à la cathédrale, j'entends aujourd'hui avec vous les paroles de l'Ecriture offertes dans la liturgie de l'Eglise pour le 8eme Dimanche du temps ordinaire. Jésus vient d'offrir les béatitudes et de convier l'homme au bonheur. Il lui offre de trouver sa joie en étant témoin avec Lui de la miséricorde, la bonté, la gratuité, la surabondance de la grâce. Et il donne au disciple d'entrer dans cette manière de vivre. Le disciple, qui se reconnaît lui-même pécheur, reçoit de Celui qui est " le seul bon " (Mt 19, 17) la bonté, les paroles et le regard de bonté. Cela n'enlève pas la lucidité ni la clarté du jugement moral, mais donne au contraire la capacité du véritable discernement spirituel.

Par ces paroles, je suis invité de façon on ne peut plus claire, à fixer avec vous et pour vous ma vie et mes paroles sur Jésus, le berger en qui il n'y a pas de mensonge et d'entrer dans l'obéissance filiale de Celui en qui il n'y a pas de mélange de oui et de non. Il s'agit aussi pour moi de veiller à notre formation par l'unique Maître.

Je vous suis donc envoyé. Ceci est source de paix et de joie, reçues du Seigneur qui m'envoie. Le successeur de l'apôtre Pierre, notre Pape Jean-Paul II est ici représenté par Mgr Fortunato Baldelli, le nonce apostolique en France, que je remercie d'avoir bien voulu me conduire cet après midi au siège épiscopal. Le Saint-Père a pu constater avec quelle ferveur le diocèse s'est engagé dans la démarche jubilaire et comment les jeunes, très nombreux, ont participé à l'événement des Journées Mondiales de la Jeunesse, celles de Paris et de Rome tout particulièrement. Qu'il reçoive l'assurance de ma communion dans la foi, ainsi que celle de tous les fidèles des Yvelines.

Je me tourne maintenant vers le diocèse de ma naissance et de mon baptême, où j'ai passé presque toute ma vie jusqu'à ce jour, où il m'a été donné d'exercer le ministère sacerdotal pendant près de trente ans, dont presque cinq comme évêque auxiliaire. C'est de vous, chers parents, que j'ai reçu d'abord et reçois encore exemple et soutien dans la foi. C'est aussi avec et grâce à vous fidèles, religieux, religieuses, prêtres et séminaristes de Paris, que j'ai appris à aimer le Seigneur en son Eglise. C'est enfin à vous, Monsieur le Cardinal, qui êtes mon père dans l'épiscopat, et l'Archevêque métropolitain de la province ecclésiastique d'Ile-de-France, que je m'adresse : auprès de vous j'ai tant appris, et j'ai tant reçu. Je me réjouis de ne pas être seulement votre voisin, et de pouvoir bénéficier de vos conseils et de votre expérience mais de pouvoir œuvrer avec vous à l'évangélisation de tous ceux qui habitent, traversent, travaillent dans nos diocèses. Ceux-ci sont très différents, chacun a sa personnalité, mais ils deviennent aussi de plus en plus interdépendants, et l'entraide, les échanges qui existent déjà entre eux pour le service de la mission sont appelés à s'intensifier. Nous y travaillerons avec les évêques de la région, dont je salue ici la présence, ainsi que celle d'autres frères évêques. Certains, originaires du diocèse, Mgr Jordan, archevêque de Reims, Mgr Vandame, archevêque de N'Djamena, Mgr de Berranger vous sont bien connus.

Ma gratitude va aussi à mon prédécesseur immédiat, Mgr Jean-Charles Thomas. Vous pourriez certes, frères et sœurs, en parler mieux que moi, car vous avez bénéficié de son ministère chaleureux, de sa prédication toute centrée sur la Parole de Dieu et de son énergie apostolique pendant quatorze ans. Il m'a accueilli comme un frère et a tout mis en œuvre pour préparer mon arrivée, et me présenter le diocèse, sans prendre aucune mesure qui aurait pu gêner en quoi que ce soit son successeur… Grâce à lui, j'ai commencé à comprendre mieux l'histoire du diocèse, qui est d'abord une histoire de sainteté comme nous le rappelle saint Louis de Poissy, et comme nous pouvons le constater chaque jour. Pour n'évoquer que le passé récent, rendons grâces aussi pour le ministère courageux de Mgr Alexandre-Charles Renard et de Mgr Louis Simonneaux : ils ont travaillé l'un et l'autre à la première réception du concile Vatican II, dont la compréhension et l'application sont toujours, et même de plus en plus nécessaires aujourd'hui.

J'espère rassurer certains et ne pas trop en décevoir d'autres en vous disant que je n'arrive pas avec un plan… si ce n'est une carte des Yvelines ! J'arrive en tout cas habité par l'urgence de la charité : " La charité nous presse, elle urge " (2 Co 5, I4). Je désire servir au mieux de mes forces cette hâte de Dieu, qui n'a rien à voir avec la précipitation ou l'improvisation, et faire connaissance avec vous. Cela a déjà bien commencé, et j'ai déjà goûté la chaleur de votre accueil. Cela, j'en suis sûr, va se poursuivre en profondeur, dans la reconnaissance des dons et des merveilles que Dieu fait, et en voulant répondre à ses appels. Dans cet esprit je commencerai dès que possible la visite pastorale, qui s'organisera de sorte que je puisse passer un temps conséquent dans chaque partie du diocèse en répartissant ces visites sur un an, deux s'il le faut.

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En ce jour où me saisit avec vous le désir de répondre avec confiance et détermination à l'appel du Christ, une de ses paroles résonne avec une force particulière en mon esprit et en mon cœur ; c'est la parole de Jésus à Pierre : " Avance au large " (Lc 5, 4). Cette invitation à agir et à vivre dans la foi en la fécondité de l'action de Dieu constitue comme la trame de la lettre de Jean-Paul II intitulée Au début du nouveau millénaire, qui nous est envoyée pour nous encourager " à faire mémoire avec gratitude du passé, à vivre avec passion le présent, à nous ouvrir avec confiance à l'avenir ", puisque " Jésus-Christ est le même, hier et aujourd'hui, il le sera à jamais " (He I3, 8) . Je voudrais qu'elle soit pour moi et pour nous une référence constante. Elle me sert d'appui pour m'adresser à chacun d'entre vous.

Jésus n'a pas dit : " Avance au large quand tu pourras ", mais " Avance maintenant, … parce que Je suis là ". Nous recevons en effet la grâce pour vivre sur cette terre et en ce temps, annoncer l'Evangile, aujourd'hui et ici, sans crainte, avec assurance. Ce n'est pas chez nous de la résignation, due au fait que nous n'aurions pas d'autre choix. Non, nous voyons d'abord notre temps comme un temps où Dieu agit, avec la largesse du semeur et aussi la patience de celui qui laisse pousser l'ivraie au milieu du bon grain. Nous éprouvons comme tout le monde la rapidité des changements et les bouleversements des mentalités, mais nous ne rêvons pas de reconstituer un passé. Ce n'est pas la nostalgie qui nous fait vivre, mais la foi et l'espérance. Nous ne constituons pas non plus, comme chrétiens, une réserve isolée, un îlot de tranquillité, un club, à qui il n'arriverait rien et dont les membres n'auraient pas de difficulté à croire, mais des hommes et des femmes qui vivent dans ce monde, avec ses facilités, ses chances, ses défis et ses rudesses. Et pourtant, malgré nos faiblesses, et sans aucun mérite de notre part, nous sommes témoins de la victoire de Dieu sur la mort ; nous pouvons dire comme l'Apôtre : " Ô mort, où est ta victoire ? Ô mort, où est ton dard venimeux ? […] Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par Jésus Christ Notre Seigneur " (1 Co 15, 55-57). Nous appuyant sur le témoignage des apôtres et la grâce de l'Esprit, nous recevons l'énergie pour nous mettre au service de nos frères, nous recevons les yeux pour regarder et aimer nos frères : ils sont ceux dont le Fils de Dieu s'est fait le prochain, ils sont ces fils promis à la résurrection, appelés à la ressemblance de Celui qui est le Dieu " non des morts mais des vivants " (Mt 22 , 32). Bref, notre espérance n'est pas une fuite.

L'Evangile que nous annonçons en effet n'est pas un thème de plus sur le marché vieilli des idées. L'annonce du salut ne se réduit pas et ne consiste pas en une formule. Cette annonce se dit et s'offre en la personne vivante et qui fait vivre, Jésus le Christ. " Pour nous, vivre, c'est le Christ " (Ph 1, 21); "Nous ne voulons rien savoir parmi vous que Jésus Christ et Jésus Christ crucifié" (1Co 2, 2). A la suite des apôtres, " nous ne pouvons pas quant à nous, taire ce que nous avons vu et entendu " (Ac 4, 2O), parce que notre foi n'est pas une connaissance réservée à une élite, mais grâce offerte. Nous ne cherchons pas à la dire à coup de slogans, car nous n'avons rien à vendre, nous ne sommes que des serviteurs qui invitent au festin, sachant que la conversion est l'affaire de Dieu. Nous sommes disciples de Celui qui a dit avant de mourir sur la croix, et de ressusciter : " Je suis Le chemin, La vérité et La vie " (Jn I4, 6). La vérité de Dieu, c'est l'incarnation vraie du Fils unique, dont le visage rayonne de splendeur. Pas une vérité arrogante, ni une vérité condescendante, mais La vérité qui s'offre, dans le dépouillement de la croix et du pardon offert. Voilà la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde et l'attire. Voilà pourquoi nous aimons le Père dont la beauté fait voir en son Fils la beauté de l'homme et de la femme et la beauté du cosmos, et la vocation de l'humanité toute entière. Voilà pourquoi annoncer l'Evangile ne fait pas de nous des fanatiques, mais des hommes et des femmes qui désirent être conduits par l'Esprit vers la " vérité toute entière " (Jn 16, 13), et sont appelés à " aimer en vérité " (1 Jn 3, I8), à aimer aussi ceux qui ne les aiment pas, à donner leur vie par amour : ni pour faire triompher une cause, ni pour faire la leçon, simplement par amour, gratuitement. Parce que le Père est le Père de tous, à commencer par ceux que personne ne voit, ne voit plus, ou ne veut plus voir.

Nous sommes conduits à encourager et à soutenir ceux qui découvrent la foi, et c'est ce qui se passe dans la mesure où la vie théologale irrigue nos communautés, nos relations, nos initiatives. C'est pourquoi l'approfondissement de la foi et la catéchèse des jeunes et des adultes ont déjà demandé et demanderont encore plus d'investissements et d'inventivité. C'est pourquoi aussi nous ne pouvons pas nous résoudre à ce qu'un enfant soit tenu éloigné d'une relation vivante et nourrie avec son créateur et sauveur. Il en va de sa vie profonde, de son épanouissement profond. Et nous savons qu'il ne suffit pas d'occuper des enfants pour qu'ils s'épanouissent…

Nous sommes aussi provoqués à rendre compte de notre foi, en même temps que nous l'annonçons. Et nous y tenons beaucoup, sans oublier que l'évangile ne s'adresse pas au cœur sans s'adresser aussi à l'intelligence, et que la foi et la raison " sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité " ( Jean-Paul II, Fides et Ratio, Prologue). C'est pourquoi nous désirons, sachant que tout homme cherche la vérité, engager un vrai dialogue avec nos contemporains, qu'ils soient croyants, agnostiques, ou athées. Non pour diluer la vérité comme si on pouvait en faire le résultat d'un vote, non pas davantage pour l'asséner, mais pour nous engager avec respect et sans crainte dans ce dialogue exigeant, et remplir notre responsabilité dans la " diaconie de la vérité " (Fides et Ratio, 2) à laquelle nous sommes invités. " Sans craindre que puisse être lésée l'identité de l'autre par ce qui est en fait l'annonce joyeuse d'un don fait à tous dans le plus grand respect de la liberté de chacun : le don de la révélation du Dieu Amour qui a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils Unique " (Jean-Paul II, Novo Millenio Ineunte, 56).

Avancer au large, ce n'est pas seulement parler, car l'annonce va de pair avec l'amour " en acte et en vérité " (1 Jn 3, I8). " Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le Royaume des cieux mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux " (Mt 7, 2I). Nous cherchons à faire cette volonté et à servir la venue du Royaume dans notre vie personnelle, qui est aussi sociale, politique et économique. C'est d'abord à cause de notre foi, singulièrement éclairante en tous ces domaines, puisque nous ne nous considérons pas comme propriétaires mais comme gérants de ce monde ; mais c'est aussi en raison des valeurs fondées sur la nature même de l'être humain que nous sommes si attachés à la construction d'un monde respectueux de la dignité de la personne, reconnaissant ce qu'elle a d'unique, de sa conception jusqu'après sa mort, d'un monde accueillant l'étranger, et veillant au partage des biens et à la vraie solidarité. D'un monde où l'homme peut exprimer et développer sa liberté religieuse. Sans revendiquer aucun privilège particulier, nous sommes engagés comme citoyens au service du bien commun et c'est bien dans cet esprit que peuvent se nouer les rapports de l'Eglise locale avec la société civile, au niveau des communes, du département, de la région, dans le monde scolaire ou universitaire ou dans la recherche, dans les rapports avec l'administration et les élus, dont je suis heureux de saluer ici les représentants qui ont bien voulu nous marquer leur sympathie.

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En vous voyant et en vous parlant, je pense au qualificatif que donnait l'apôtre Paul à ses correspondants : " Vous qui êtes saints, appelés à la sainteté ". Ce n'est pas seulement un souhait (cf. " Ce que Dieu veut, c'est votre sanctification " (1 Th 4, 3)) mais la reconnaissance du don de la nouvelle naissance et du don de l'Esprit par le baptême et la confirmation, et de la communion au Christ dans son corps et son sang. C'est aussi le rappel que, pauvres pécheurs pardonnés, nous sommes témoins et serviteurs de la vocation universelle à la sainteté. Par sainteté nous n'entendons pas je ne sais quelle perfection ou connaissance d'initiés qui se cooptent, mais l'accueil dans la foi de la grâce filiale, à tout âge, dans toute condition.

C'est pourquoi nos communautés sont et doivent devenir tous les jours davantage des foyers de prière. Car la prière est notre respiration. Et le monde a besoin de prière. Nous avons toujours à apprendre ou à réapprendre ce qu'est la prière chrétienne, nourrie de la Parole de Dieu. Prière qui vient de la charité et qui attise l'amour très concret des frères. Prière personnelle et prière liturgique ; prière du cœur à cœur solitaire et reliée à tous, où l'on s'expose tel qu'on est pour se laisser aimer, prière éduquée et vécue dans le corps de l'Eglise qui demande, adore, rend grâces, intercède. Notre prière est liturgique et baignée par la liturgie, et notre vie chrétienne est scandée et vivifiée par la messe du Dimanche. Dans l'action mystérieuse de l'Eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne, le Christ unique Grand Prêtre se rend présent en son sacrifice et nous y associe. Dans cette prière, notre amour s'exprime en supplication pour tous les hommes à la suite du Fils. C'est là qu'est anticipé le banquet entre le Père et les " invités au repas des noces de l'Agneau "( Missel romain, rite de communion). Nous entrons dans la liturgie offerte par l'Eglise où l'Epouse du Christ, éducatrice de la prière, exprime sa communion dans la foi et la charité, et où elle se ressource. Nous participons à cet échange entre le ciel et la terre, échange de la communion des saints, dans une action sainte se déployant selon les formes prescrites, puisque personne n'est propriétaire de la liturgie, ce que l'Eglise en son magistère authentique nous garantit et dont elle est servante.

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J'ai dit " nous " en pensant à tout le diocèse, dans son étendue et sa variété. Ce n'est pas bien sûr l'apanage de notre diocèse que d'être plein de contrastes, et il est heureux qu'on puisse dire cela de toute l'Eglise, car nous ne sommes pas les clones les uns des autres ! Exprimant la même foi dans le symbole baptismal et dans le Credo, nous sommes attachés à ce que cette communion fraternelle grandisse. Le temps du Jubilé nous a offert une occasion extraordinaire en nous aidant à reconnaître les dons et le travail de Dieu dans tout le diocèse, mais nous savons bien que la communion dans la foi est une grâce à demander sans cesse. Pour y correspondre, il faut nous encourager à demander aussi beaucoup d'humilité, de patience, de prière et d'écoute de la Parole de Dieu. Mon prédécesseur à la suite des précédents évêques et avec un cœur et un talent remarquables s'est donné tout entier et avec une grande abnégation pour servir cette communion profonde dans la foi. C'est la condition et le climat d'un dialogue authentique avec tous, à commencer par les chrétiens. C'est aussi le témoignage que nous sommes appelés à rendre ensemble " pour que le monde croie " (Jn 17, 21) et que se construise avec l'aide de Dieu l'unité de tout le genre humain.

Le service de la communion dans la foi et la charité dont je viens de parler fait partie de la mission confiée à l'Evêque pour qu'il veille à la croissance du corps et la stimule comme pasteur et père. Priez pour que la mission d'autorité qui m'est confiée soit sans cesse modelée sur celle du Père qui parle en son Fils, qui sert et donne sa vie, qui pardonne, et qui patiente, qui corrige mais qui sait aussi se taire. Rempart et veilleur, je devrai être vigilant pour que la voix des pauvres et des petits, des malades, des isolés, des prisonniers s'exprime et ne soit pas étouffée, je devrai aussi veiller à ce que dans notre Eglise diocésaine aucun groupe ne fasse la leçon à d'autres, ou se comporte de façon exclusive et sectaire. Comme le recommandait Grégoire le Grand dans sa Règle pastorale, je devrai chercher à ne pas être faible avec les forts ni dur avec les faibles.

Cette communion est communion de personnes vivantes dans un corps vivant animé par l'Esprit-Saint. Je voudrais rendre grâces pour les dons et les sacrements qui fructifient dans vos vies, en demandant pour les uns et pour les autres la constance et la joie, en voulant être pour vous " homme de l'encouragement ".

C'est ainsi que les fidèles du Christ laïcs vivent comme un ferment en ce monde, où ils exercent leurs tâches terrestres et leurs responsabilités, et qu'un grand nombre d'entre eux aussi ont en charge un service ponctuel ou régulier dans la vie des paroisses et des institutions de l'Eglise. Ce n'est pas cependant à partir de ce qu'ils font, même si c'est considérable, que je veux les saluer, mais à partir de la nouveauté de vie qu'ils ont reçue et qui est à l'œuvre, en voyant l'amour qu'ils ont de l'Eglise du Christ, leur engagement dans la société, et leur ferveur missionnaire manifestée par exemple lors de l'année jubilaire, et au dernier rassemblement de Pentecôte.

Parmi les fidèles, certains, dans la pauvreté, l'obéissance et le célibat librement consentis, sont pour nous et par vocation le signe que le Royaume de Dieu est là présent et que sa figure n'est pas achevée. Continuons sans nous lasser de prier pour que les appels de Dieu soient entendus, et pour servir cet appel de Dieu. Je pense aux vocations religieuses, contemplatives et actives. Je suis ici heureux de reconnaître particulièrement ceux et celles qui, dans le retrait d'un Carmel, dans l'accueil spirituel, dans les tâches éducatives ou sociales, dans l'accueil des personnes âgées les plus pauvres, dans la vie missionnaire sous toutes ses formes, donnent leur vie entière : de façon souvent très cachée, comme le grain tombé en terre, elles servent le Royaume de Dieu. Comme le dit en écho aux paraboles un proverbe zaïrois : " Un arbre qui tombe fait beaucoup de bruit, (et nous en savons quelque chose ici…) une forêt entière qui pousse et qui naît, elle, n'en fait pas… ".

On parle beaucoup aujourd'hui sinon du mariage, du moins autour du mariage. Pour nous chrétiens, le mariage n'est pas seulement forme contractuelle de l'union stable d'un homme et d'une femme. Les époux chrétiens et le foyer qu'ils fondent reçoivent la grâce pour être signes de la fidélité et de l'amour de Dieu. Ils sont porteurs de ce signe dans une fragilité extrême, mais signes réellement. Ce signe, nous sommes tous solidaires pour qu'il soit donné, apprécié, expliqué. Nous devons aussi porter les fardeaux les uns des autres et nous entraider pour vivre en vérité les brisures et des échecs. Mais n'oublions pas de rendre grâces pour ces " Eglises domestiques " où sont éduqués le don de soi par amour gratuit, la patience à supporter ensemble l'adversité et à recevoir ensemble les joies simples, le sens de Dieu et le sens de l'Eglise.

Je voudrais parler aussi à mes frères diacres, en particulier les diacres permanents, qui pour être signes du Christ serviteur avez reçu la grâce de l'ordination. Vous rendez présent le Seigneur d'une façon humble et forte. Vous n'êtes pas là pour suppléer au nombre insuffisant du nombre de prêtres, mais pour être signes vivants de la proximité du Christ qui accueille et qui vit avec ceux qui marchent sur les chemins de ce monde et y travaillent. J'espère que d'autres vous rejoindront dans ce ministère qui est une grâce pour nous tous.

Je voudrais ensuite m'adresser à mes frères prêtres. Beaucoup d'entre vous m'ont écrit, et l'un d'entre vous m'a dit : " Oui, Monseigneur, vous avez un grand diocèse, mais vous n'êtes pas seul à le porter! " C'est vrai. Nous sommes liés les uns aux autres par l'ordination et la mission pour " représenter au milieu de vous le Christ comme Tête et comme Pasteur " (Jean-Paul II, Pastores dabo vobis, I5 Mars I992, §15). Nous sommes appelés à donner nos mains, nos paroles, notre vie, pour que l'Eucharistie et le pardon de Dieu, pour que les signes visibles et efficaces de la grâce soient offerts tous les jours de l'histoire de l'humanité. Puis-je vous confier que j'ai goûté dans mes premières rencontres avec vous, non seulement l'amour pastoral qui vous habite, mais l'estime que vous manifestez les uns vis-à-vis des autres, dans notre presbyterium, où toutes les générations sont présentes… Vous exercez le ministère, souvent en collaboration avec des religieuses et des laïcs animateurs pastoraux, dans des conditions de vie qui ont changé depuis plusieurs années, et qui changeront sans doute encore. Mais je sais que nous partagerons, avec la joie des serviteurs, la mission apostolique, sachant que nous ne sommes ni les premiers ni les derniers à nous trouver devant des défis qui sont les défis de la mission. D'ailleurs, vous le savez bien, frères et sœurs : quand vous interrogez les prêtres un peu à fond, ils ne vous parlent pas de leur agenda, sinon pour égrener les raisons de leurs joies, et la beauté de leur ministère. Ce qui les conduit, ce n'est pas le désir d'être considérés par le monde, ni le désir d'être notables, ni de faire carrière, ni d'exercer un pouvoir, c'est l'appel du Christ pour le service dans Son Eglise, par amour de nos frères : Oui, nous savons qu' " il n'y a pas de plus grande joie que de donner sa vie pour ceux qu'on aime " (Jn 15, 13).

Je pense maintenant aux vocations sacerdotales. Nous ne les demandons pas à Dieu comme si nous avions besoin de parfaire une organisation qui ne serait qu'humaine, mais parce que Jésus nous révèle que " la moisson est abondante ", et qu'il ajoute : " Les ouvriers sont peu nombreux " (Mt 9, 37-38). Prions donc le maître de la moisson, sans nous décourager. Dépassons les craintes, y compris dans certaines de nos familles. Et quand des jeunes répondent en avançant librement, sachons les accueillir tels qu'ils sont, avec sympathie et confiance, en les encourageant, et aussi en leur disant nos convictions profondes. Sachons les encourager aussi tout au long de leur formation. Celle-ci ne consiste pas à s'initier à des comportements extérieurs, elle ne consiste pas non plus seulement dans l'acquisition de connaissances, elle est un chemin de conversion de la volonté et de l'intelligence, de tout l'être, au Christ-Prêtre, qui se poursuivra jusqu'à la mort. C'est pourquoi je confie à votre prière les trente-cinq séminaristes du diocèse, dont plusieurs seront ordonnés diacres en vue du sacerdoce et d'autres prêtres dans les mois qui viennent.

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" Avancer au large ", ou " en profondeur ", ou " en haute mer " veut dire aussi que nous sommes tendus vers Celui qui vient, que nous cherchons à " saisir celui qui nous a saisis " (Ph 3, 12) et nous entraîne à sa suite, jusque dans les " profondeurs, la largeur et la hauteur " (Ep 3, 18) de l'amour de Dieu et que nous apprenons à lui dire au nom de toute l'humanité : " Viens Seigneur Jésus ! " (Ap 22, 1O). La tension chrétienne n'est pas seulement l'expression d'une insatisfaction, mais d'une hâte, d'un désir que les invités au repas pascal soient tous invités. Partageons, au pied de la croix, et dans l'espérance de la résurrection, le désir du Seigneur : " J'ai désiré d'un grand désir manger cette Pâque avec vous " (Lc 22, 15) ; " Quelle n'est pas ma hâte que le feu de l'amour embrase l'univers " (Lc 12, 49).

Au pied de la croix, il y a Marie, présente depuis les commencements de l'Eglise : depuis l'incarnation, la Pentecôte et la gloire de son Assomption, elle est mère du Christ et mère de l'Eglise. C'est à sa garde que je confie ma vie et vos vies de chrétiens, celle de tous nos frères et sœurs des Yvelines, c'est à elle que je confie mon ministère d'Evêque : en la recevant chez moi une nouvelle fois avec vous, je lui demande de me prendre, de nous prendre chez elle pour que nous entendions mieux son Fils nous dire : " Avance au large ! ", " Ne crains pas ! " (Lc 5, 10), " Fais tout ce qu'Il te dira ! "(Jn 2, 5). …

Eric AUMONIER
Evêque de Versailles